ALERTE ROUGE !
En analysant des millions de données recueillies depuis le Moyen-Âge, les « nouveaux optimistes » de la Silicon Valley ont conclu que le monde ne s’était jamais aussi bien porté. L’ouvrage de Steven Pinker « Enlightment Now » fut applaudi à tout rompre lors du Forum économique mondial de Davos et cité par Bill Gates comme son livre de chevet. Optimiste par nature, j’aurais aimé partager le constat de Steven Pinker et Johan Norberg, chefs de file de ce courant.
Nous constatons certes de fulgurants progrès dans certains domaines. Il sera possible de vivre jusqu’à cent cinquante ans grâce à des prothèses ou de faire du tourisme sur la Lune. Mais cela est réservé à une infime minorité et ne parvient pas à éclairer pas notre futur commun. La réalité est hélas moins rose.
Notre monde est aujourd’hui gangréné par de multiples fléaux. L’environnement est dévasté et la trajectoire du réchauffement climatique annonce l’extinction de l’espèce humaine si se poursuit notre modèle de production et de consommation. Des régimes liberticides en Russie, en Chine, dans des monarchies du Golfe et ailleurs. Une situation sociale mondiale désastreuse, avec près de trois milliards d’adultes auxquels ajouter les nombreux enfants n’ayant accès qu’à 1,2% de la richesse mondiale des ménages, pendant que 1% de la population mondiale adulte possède près de la moitié de cette même richesse. Une telle misère provoque à la fois la montée des leaders national-populistes xénophobes aux discours nauséabonds, le djihadisme type Al-Quaida, Daech-EI, Boko Haram, etc. et fournit ses troupes aux réseaux mafieux à travers le monde. Une guerre en Ukraine, à Gaza, au Yémen, etc. qui attisent les tensions géopolitiques et conduisent à réarmement massif des grandes et moyennes puissances. Une pandémie de Covid-19 qui laisse redouter d’autres virus dans l’avenir. Sans compter un regain atterrant de l’antisémitisme à travers le monde.
Si les guerres les plus atroces débouchent tôt ou tard sur la paix, si les affrontements politiques conduisent à des changements de majorité, la planète et le climat sont d’une autre nature. Une fois un seuil critique atteint, les détériorations des écosystèmes et de la biodiversité risquent d’être irréversibles.
En novembre 2017, plus de 15 000 scientifiques de 184 pays, biologistes, physiciens, astronomes, chimistes, agronomes, spécialistes du climat ou des océans, de zoologie ou d’halieutique avaient lancé un signal d’alarme contre la destruction rapide du monde naturel «au-delà de sa capacité à entretenir le tissu de la vie ». Leur texte publié dans la revue BioScience enjoint aux décideurs et aux responsables politiques de tout mettre en œuvre pour « freiner la destruction de l’environnement », alertant sur la nécessité « d’adopter une alternative plus durable écologiquement pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité. »
Un seuil de déraison est aujourd’hui dépassé avec les investissements massifs de Jeff Bezos et Elon Musk pour préparer l’exil de l’humanité, l’un dans ses colonies spatiales, l’autre dans ses corridors martiens. L’heure est venue pour la société civile de réagir au niveau transnational pour remettre l’économie, la finance, les sciences, les technologies et les médias au service du développement humain, du progrès social et d’une protection stratégique de la planète et du climat.
En activant J’APPROUVE l’initiative du Pacte Climatique Mondial, vous ferez un geste utile pour impulser un mouvement international visant à prolonger dignement l’aventure humaine dans monde coopérant.
Annexe. La Pyramide mondiale des richesses de la banque UBS.

UN DEMI-SIÈCLE PERDU DANS LE DOMAINE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CLIMAT.
Sur la question spécifique du climat, un rapport titré “Restoring the Quality of our Environment” fut remis au président Lyndon Johnson en 1965 par le Conseil scientifique de la Maison Blanche dirigé par Donald F. Hornig. On peut lire en conclusion (p. 127) “By the year 2000 the increase in atmospheric CO2 will be sufficient to produce marked changes in climate. (…) The climatic changes could be deleterious from the point of view of human beings.” Ce rapport fut soigneusement occulté par le président et son administration sous la pression du lobby des énergies fossiles et des industries associées, donatrices traditionnelles des campagnes présidentielles.
Les conférences internationales de l’ONU sur l’environnement, le développement durable et le climat donnèrent quelque espoir à l’humanité. La déception a été à la mesure des espérances. Les gouvernants les nations se livrent une course de lenteur depuis un demi-siècle, provoquant un véritable écocide planétaire et précipitant la fin du monde annoncée par les scientifiques. En effet, depuis le Sommet de la Terre à Stockholm en 1972 jusqu’à la COP 21 de 2015 en passant par le Sommet de Rio en 1992, non seulement les conférences de l’ONU ont été cofinancées par de grands groupes -dont certains particulièrement pollueurs-, mais elles ont été noyautées par deux organisateurs issus du secteur du pétrole et de l’industrie de l’amiante, respectivement Maurice Strong (PetroCanada puis Caltex-Chevron) et Stephan Schmidheiny, patron du groupe Eternit. (Cf l’enquête du journal Le Monde du 3.12.2015.)
On comprend mieux pourquoi les avancées ont été réalisées au pas de l’escargot quand il eût fallu faire du climat une priorité politique internationale.
Aujourd’hui encore, les organisations patronales du S&P500 refusent toute mesure législative contraignante en faveur du climat.
Le premier appel des scientifiques fut publié en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre à Rio par 1700 chercheurs, dont près d’une centaine de Prix Nobel, annonçant que « les êtres humains et le monde naturel (étaient) sur une trajectoire de collision. » Cet appel fut occulté par une puissante campagne de communication à la veille du premier Sommet de le Terre. Les lobbies industriels et bancaires lancèrent une campagne contre les écologistes avec l’appel de Heidelberg mettant en garde contre « l’idéologie irrationnelle qui s’oppose au développement scientifique et industriel ». (Source journal Le Monde du 14.11.2017.) Cet appel mettait en exergue la nécessité de ne pas pénaliser la croissance et l’emploi. Cet argument émis à l’initiative d’industriels eut pour effet d’atténuer les mesures qui auraient dû être décidées à Rio pour conserver à la planète sa capacité d’abriter durablement la vie sous toutes ses formes.
Tout est dit. N’allons pas chercher ailleurs la raison des détériorations infligées à la planète.
En dépit de la forte hausse des tarifs de réassurance chez Münich-Re ou Swiss-Re liée à la multiplication des catastrophes climatiques, le président des États-Unis Donald Trump qualifia le réchauffement climatique de ‘canular’ et nomma l’ancien PDG d’Exxon-Mobil, Rex Tillerson, secrétaire d’État et le climatosceptique Scott Pruitt à la tête de l’EPA (Agence de protection de l’environnement), annonçant dans la foulée sortir l’Amérique des accords de la COP21. L’élection de Joe Biden permit de réintégrer l’Amérique dans l’Accord de Paris. En revanche, Vladimir Poutine fonde l’économie de la Russie sur l’exploitation de ses énergies fossiles, tout comme le président de l’Arabie saoudite. Mauvais augure pour le climat.
Sous l’impulsion de Pavan Sukhdev, ancien dirigeant de la Deutsche Bank, un autre courant d’idées s’impose chez certains leaders de l’économie mondiale et au sein de l’ONU. À travers «la croissance verte », ils placent les écosystèmes et la biodiversité sous l’arbitrage des marchés. D’immenses débouchés s’ouvrent ainsi aux banques et aux investisseurs en quête de nouveaux produits. Tout cela revient finalement à privatiser la planète et à spéculer sur tel élément de la biodiversité, telle espèce en péril. Cette vision affairiste doit être évaluée avec circonspection. Si le fait de donner un prix à la nature peut favoriser sa protection, certains cas observés attestent de détournements lourdement préjudiciables à l’environnement. C’est davantage par des régulations publiques et des directives internationales qu’il sera possible de protéger la planète en reconvertissant sur un mode durable notre modèle obsolète -pour ne pas dire suicidaire- de développement.
Comme toujours, la société civile est en avance sur les responsables politiques.
Dès les années 70, le Rapport du Club de Rome Limits to Growth commandé à l’équipe de Dennis Meadows par des industriels italiens démontrait que notre système productiviste de développement était incompatible avec les ressources de la planète et les capacités régénératrices des écosystèmes. Loin d’être amendé, le way of life américain fut décrété “non négociable” par les présidents américains successifs. Contre toute attente, ce modèle économique antisocial, inégalitaire, pollueur, prédateur des ressources, destructeur des écosystèmes et des climats fut étendu au monde entier par les négociateurs du GAAT en prélude à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995. Un comble d’irresponsabilité de la part de ceux qui nous gouvernent. La stratégie est hélas constante. De tous temps et quel que soit le pays, les politiciens arbitrent invariablement en faveur des grands groupes et de leurs lobbies, à la fois contributeurs des campagnes présidentielles et fournisseurs potentiels de postes entre deux mandats politiques ou en fin de carrière. Bill Clinton confiait à Al Gore en 1992 “Entre faire de l’écologie et gagner les élections, mon choix est fait”. La formule est restée ancrée dans l’esprit de tous les leaders politiques, notamment l’ancien président français N. Sarkozy lorsqu’il déclara au terme du Grenelle de l’environnement « L’écologie ça suffit ». Même attitude de la part des gouvernements français successifs. Avec une mention spéciale pour Mr Macron qui réunit la CCC -Conférence Citoyenne pour le Climat- en 2020, promit que les préconisations seront reprises « sans filtres » … mais en écarta les principaux points.
UN EFFONDREMENT GLOBAL ANNONCÉ À L’HORIZON DE QUELQUES GÉNÉRATIONS SEULEMENT.
La question n’est plus de savoir si la trajectoire du monde nous conduit à un chaos global, mais à quel moment il surviendra. La perspective de l’effondrement de nos civilisations a été sérieusement étayée en 2006 par le biologiste évolutionniste américain Jared Diamond dans son livre « Collapse » (« Effondrement ». Éd. Gallimard). D’autres experts en résilience des systèmes socio-écologiques corroborent les travaux de J. Diamond. Pablo Servigne et Raphaël Stevens exposent les différents ressorts de ce phénomène planétaire dans leur livre « Comment tout peut s’effondrer. » (Éd. Seuil Anthropocène 2015). Expert en anthropologie sociale entre autres domaines de compétences, Paul Jorion nous offre son essai sur l’extinction de l’humanité (« Le dernier qui s’en va éteint la lumière. » Éd. Fayard).
Ces personnes prédisent cette issue fatale avec une étonnante convergence d’arguments. En effet, les différentes agressions perpétrées à l’encontre des écosystèmes ne produisent pas une détérioration linéaire. La communauté scientifique s’accorde aujourd’hui sur le fait que, par un effet complexe de mutualisation, lorsqu’un certain seuil de rupture est atteint, des effets démultiplicateurs provoquent avec une surprenante rapidité un enchaînement de conséquences catastrophiques de très grande amplitude.
Figure historique, l’agroéconomiste Lester Brown nous alerte dans son livre “PLAN B. Save the civilization” (Éd. Calmann Lévy). « Le modèle actuel de développement accélère l’effondrement de l’écosystème planétaire qui sous-tend les activités économiques ». Faisant référence à l’effort de guerre américain en 1941, il appelle au volontarisme politique pour une mobilisation générale à l’échelle mondiale en vue de reconvertir sur un mode durable l’actuel modèle de développement. Lester Brown a inspiré notre appel à mobilisation générale pour notre futur commun.
D’autres personnalités extérieures à la sphère scientifique ou écologiste tirent également la sonnette d’alarme.
Ancien chef-économiste du Fonds monétaire international de 2001 à 2003, Kenneth Rogoff est aujourd’hui professeur d’économie et de politique publique à Harvard. Il nous livre son analyse. « Les systèmes tiennent souvent plus longtemps qu’on ne le pense, mais finissent par s’effondrer beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine. »
Gestionnaire d’importants fonds de pension anglo-saxons, Jeremy Graham donnait sa propre analyse en 2013. « Les civilisations qui se sont effondrées souffraient toutes d’un orgueil démesuré et d’un excès de confiance en elles. Elles étaient convaincues de leur capacité inébranlable à relever tous les défis et estimaient que les signes croissants de leur faiblesse pouvaient être ignorés en raison de leur caractère pessimiste. » Quant au sociologue Edgar Morin, il résume d’une phrase la situation actuelle. « Nous avançons comme des somnambules vers la catastrophe finale ».
TROIS DÉCENNIES DE VAINES ALERTES SUR LES DÉRIVES DE LA MONDIALISATION.
Au-delà de la question environnementale qui atteint des seuils alarmants, la face négative de la mondialisation fut décrite tout depuis le début des années 90 par des journalistes, des économistes, des financiers et dirigeants d’entreprise, tous protagonistes de l’économie de marché. Les uns et les autres ont alerté sur les dérives d’une globalisation excessivement dérégulé sous emprise d’une finance hautement spéculative. Autant d’alertes restées sans effet.
Il y a près d’un quart de siècle en 1992, Jacques Vallon, journaliste au magazine économique français “Challenges” écrivait “Loin de contribuer à l’ordre mondial, la guerre économique planétaire ouvre les vannes de l’instabilité qui lui est inhérente au risque de nous placer aux portes de la tragédie”. Philippe Lefournier, directeur des recherches économiques au magazine “L’Expansion”, exprimait l’année suivante ses propres craintes. “L’occident ne pourra coexister longtemps avec un tiers-monde maintenu dans la pauvreté. Elle enfante le désespoir et le fanatisme (…) Quantité de heurts, y compris militaires, peuvent s’ensuivre dans une ère damocléenne qui est désormais la nôtre”.
En 1998, Klaus Schwab, président du World Economic Forum de Davos déclarait. “La mondialisation est entrée dans une phase très critique. Le retour de bâton se fait de plus en plus sentir. On peut craindre qu’il ait un impact fort néfaste sur la vie économique et la stabilité politique de nombreux pays”. Critiquant à son tour les dérives de cette mondialisation, l’américaine Rosabeth Moss-Kanter, directrice de la Harvard Business Review, déclara au cours du même forum “Il faut que les collectivités locales, les villes et les régions bénéficient de la mondialisation. Sinon nous assisterons à des mouvements sociaux comme nous n’en avons jamais vu depuis la seconde guerre mondiale.”
Parmi les grands patrons d’industrie, Percy Barvenik, président d’ABB (Asea Brown Boveri) avait exprimé ses craintes à cette occasion. “Si les entreprises ne relèvent pas le défi de la pauvreté et du chômage, les tensions vont s’accroître entre les possédants et les démunis, et il y aura une augmentation considérable du terrorisme et de la violence”. Au sein du patronat français, un courant incarné par le Centre des Jeunes Dirigeants appela à “une autre mondialisation” dans l’ouvrage “L’entreprise au XXIème siècle”. Le CJD s’opposait au fait de “laisser faire le marché et ne développer d’autre projet que la lutte pour la suprématie économique et financière.” Parmi les grands financiers, Jimmy Goldsmith dénonça en 1994 dans son fameux livre “Le Piège” les dérives de la finance et les effets pervers de la mondialisation. Georges Soros -qui ne saurait être soupçonné d’étatisme- interpella la classe politique internationale dès les années 90 afin qu’elle “crée de nouvelles sécurités” et “stabilise l’expansion sauvage des mécanismes du marché”. Son livre “Guide critique de la mondialisation” paru en 2002 est celui d’un expert qui appelle à la réforme du système financier. De son côté, le prix Nobel d’économie américain Joseph E. Stiglitz ne ménagea pas l’action de l’OMC et du FMI dans son livre “La grande désillusion”. Pour lui “les règles injustes de la mondialisation ne favorisent que les multinationales et doivent être très vite réformées si on veut éviter le pire”. Il réitéra ses critiques en 2016 dans un article des Échos. “ La mondialisation sert les banques, les entreprises et les plus riches. Il faudrait réécrire les règles du jeu”.
Expert en stratégie et en économie auprès de nombreuses instances officielles aux États-Unis et en Europe, Edward C. Luttwak décrivait en 2000 le système économique mondial dans son livre « Le Turbo-Capitalisme ». « C’est l’absence de tout contrôle politique, la fin des syndicats, le mépris pour le sort des salariés, la volatilité absolue des capitaux, sans plus de régulation, c’est la privatisation à tous crins, des universités aux prisons, des écoles aux maisons de retraite, qu’il faudrait transformer en entreprises soucieuses du seul profit. Ce qui est promis, c’est une économie dynamique qui créera de nouvelles richesses, en oubliant simplement de préciser à qui elles reviendront. Sûrement pas à tous. » On ne peut être plus explicite.
Président de Time Equity Partner en 2009, Henri de Bodinat est l’auteur du livre “Les sept plaies du capitalisme » paru en 2012. Selon lui « La crise de 2008 est le symptôme d’une mutation maléfique du capitalisme depuis la chute du communisme, qui entraîne irrésistiblement vers le gouffre de l’inégalité, de la stagnation et du chômage l’ensemble des sociétés occidentales. La cupidité est devenue la valeur suprême, empoisonnant l’organisme social et déclenchant une série de maladies adventices : l’infection du lobbyisme, le virus de la rente, la septicémie de la finance, l’anémie de la mondialisation, le cancer des externalités… Ces plaies ouvertes au flanc du capitalisme se combinent en une gangrène infernale qui tue le progrès et l’espoir, instaure le règne de la peur et menace la substance même de nos sociétés.” Cette critique du libéralisme est celle d’un homme du sérail formé à HEC et présidant un fonds d’investissement. Elle n’a, à ce titre, que plus de portée.
Les commentaires critiques de cette mondialisation néolibérale se succèdent années après années. En 2002, Anton Brender, directeur d’études économiques chez Dexia Asset Management nous dit dans son essai “Face aux marchés, la politique” (La Découverte) L’intégrisme néolibéral a conduit à donner aux marché financiers des responsabilités qu’ils sont incapables d’assumer. (…) Le libre jeu des réflexes des marchés conduit le plus souvent au chaos. Il faut redonner sens à tous ces gains de productivité que le capitalisme est capable de dégager. Face aux marchés, nous devons faire non pas moins mais plus de politique.
L’année suivante, c’est au tour de Claude Bébéar, président d’Axa, d’appeler à réguler le capitalisme dans son livre « Ils vont tuer le capitalisme » (Plon). « Ce qui rend les choses difficiles à changer, c’est la mondialisation : la plupart des entreprises ont une activité internationale mais les règles restent largement nationales. (…) Il faudrait que soient édictées un certain nombre de règles prudentielles internationales. Cet effort d’harmonisation, de coordination est pourtant un sujet absolument central : les économistes savent aujourd’hui que la crise des années 30, après le krach de 1929, est largement imputable à l’inadéquation des réglementations de l’époque. (..) Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable. » Cette demande de réglementer le capitalisme est prémonitoire cinq avant le krach de Wall Street de 2008. La voie de Claude Bébéar aurait dû être entendue par les chefs d’état et les grands patrons qui se rendent chaque hiver au Forum économique mondial de Davos.
Deux années plus tard en 2005, Jean Peyrelevalde, patron de Suez puis du Crédit Lyonnais, publia « Le capitalisme total » (Seuil) où il écrit en conclusion. « La mondialisation nie l’État-nation et n’accepte spontanément le politique que dans la mesure où celui-ci l’aide à s’étendre. (…) Souvent, les plus riches, oublieux de ce qu’ils doivent à l’état où ils sont nés, où ils ont été formés, éduqués, où ils ont établi leur prospérité, déplacent aisément revenu et patrimoine pour aller là où l’impôt est le plus faible. (…) Le combat doit être mené pour que l’enrichissement des actionnaires soit respectueux de l’avenir et de l’équilibre social afin d’imposer à la grande entreprise mondiale et à ses propriétaires de respecter les principes de citoyenneté. » Sa critique se focalise également sur l’emprise de la finance. « Dix à douze millions d’individus (2 pour mille de la population mondiale) contrôlent la moitié de la capitalisation boursière de la planète. Une poignée de gestionnaires d’actifs financiers imposent leurs vues aux dirigeants de quelques milliers d’entreprises cotées qui ne sont plus que les serviteurs dévoués d’une machinerie irrésistible ».
Un autre expert de la finance internationale, directeur de la recherche chez Natixis, nous livrait son analyse en 2008 dans son essai « Globalisation, le pire est à venir » (La Découverte). Patrick Artus évoquait « un monde où la globalisation non maîtrisée est l’agent de grands bouleversements. (…) Si la globalisation entre dans un nouvel âge, fait d’instabilité, de désordres et de craintes de toutes sortes, c’est bien parce qu’elle est livrée à elle-même. »
Même type d’alerte lancée par Matthieu Pigasse, directeur de la banque Lazard, dans son livre Revolution (paru en 2012 chez Plon). « Il ne faut pas voir dans le marché une forme supérieurement efficace des actions individuelles. Aucune société ne peut s’auto-organiser par la seule vertu des marchés. Il faut donc se garder de l’illusion libérale d’une société qui n’aurait pas besoin de penser son devenir ni de définir ses régulations. Au contraire, il appartient à la politique de se réinventer, de définir de nouvelles règles et de nouvelles institutions. »
Un coup de boutoir inattendu contre les politiques néolibérales vient d’une équipe d’économistes du FMI Jonathan D. Ostry, Prakash Loungani and David Furceri dans une étude publiée en mai 2016 sous le titre « Liberalism oversold ? » (Le libéralisme a-t-il été survendu ?) “Comme l’ouverture internationale et l’austérité sont associées à une inégalité croissante des revenus, cela induit une rétroaction négative. L’augmentation des inégalités engendrées par l’ouverture financière et l’austérité pourrait freiner cette croissance que le néolibéralisme prétend pourtant justement vouloir stimuler. Or il y existe maintenant des preuves solides que l’inégalité peut diminuer à la fois le niveau et la solidité de la croissance, et ce de manière significative.”
Interrogée le 30 octobre 2017 sur la chaîne parlementaire (LCP) après vision du documentaire « L’urgence de ralentir », l’ex-présidente du Medef Laurence Parisot fi écho aux multiples demandes de régulation précitées. « Je suis d’accord avec ce que je viens de voir. Il faut un nouveau cadre politique au marché. Les entreprises seront tout-à-fait capables de s’y adapter ». En tout état de cause, ces prises de position émanant de grands patrons, d’économistes ou de financiers protagonistes du capitalisme confirment la nécessité d’élaborer un programme global régulateur au cœur du Pacte Climatique Mondial.
Une mise en lumière de ces problématiques interpella l’opinion internationale dans les années 2000. Le film documentaire d’Al Gore “Une vérité qui dérange” sorti en 2006 reçut un Oscar à Hollywood et connut un succès mondial. Une série de films-documentaires comme “Le syndrome du Titanic” de Nicolas Hulot, « Home » de Yann Arthus-Bertrand, “La 11ème heure” de Leonardo di Caprio et bien d’autres furent diffusés entre 2007 et 2009 et éveillèrent les opinions publiques à la nécessité de sortir au plus vite de ce système globalisé productiviste totalement insoutenable. Des projections furent données devant les parlementaires de nombreux pays pour sensibiliser les leaders politiques en faveur d’un changement de cap pour éviter au pire d’advenir. Malgré la pertinence de ces analyses critiques et de toutes les enquêtes et documentaires pour la télévision ou le cinéma, les gouvernants des nations s’entêtent aveuglément sur la même ligne dérégulatrice aux effets dévastateurs avérés.
En analysant la mondialisation économique dans ses divers aspects, nous découvrons que ce qui présenté comme un marqueur de la modernité n’est en réalité que l’extension au monde entier du capitalisme sauvage pratiqué au XIXème siècle aux États-Unis. À cette époque-là, les magnats américains des chemins de fer, de l’acier, du pétrole, du téléphone et de la finance manipulaient à leur avantage l’économie du pays et les marchés financiers avec la complicité des membres du gouvernement fédéral. Les présidents Harding et Coolidge confièrent plusieurs portefeuilles ministériels à ces « barons voleurs » –robber barons-, dont celui de l’économie et des finances à Andrew Mellon. D’immenses fortunes s’édifièrent alors dans l’ensemble du monde industriel. Animés par une cupidité sans limites, les milieux d’affaires furent à l’origine du krach de 1929 et de la Grande Dépression qui frappa le monde.
La révolution industrielle en Amérique et en Europe s’opérant sur une exploitation honteuse des hommes, des femmes et des enfants, les revendications sociales se multiplièrent et furent partout sauvagement réprimées. Le communisme s’imposa alors en Russie en 1917 et prit une forme totalitaire pour s’étendre progressivement à la moitié du monde.
Dans l’Allemagne ruinée par le Traité de Versailles et l’occupation de la Ruhr, l’arrivée au pouvoir de Hitler et le national-socialisme résultent largement du chômage de masse et des désastres sociaux liés au krach de 1929. L’idée fait consensus chez les historiens. Si les gouvernements des pays en voie d’industrialisation avaient institué quelques mesures sociales au lieu de servir docilement les intérêts des grandes compagnies et des banques, cela aurait prévenu le totalitarisme communiste, le nazisme, la Shoah et la deuxième guerre mondiale. Au total près de 200 millions de vies auraient été épargnées.
MÊMES CAUSES, MÊMES EFFETS.
Le service aveugle des intérêts des grands groupes dans les années 80 et 90 a conduit à l’effondrement du système mondial en 2008. Conséquence d’un immense dénuement dans ce contexte d’inégalités abyssales, le monde est pris en étau entre des nationalismes xénophobes et des fascismes religieux. Le curseur de l’échiquier politique mondial s’est porté aux extrême-droites plus ou moins dures, voire fascisantes. La liste est longue avec l’Amérique de Donald Trump, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, l’Inde de Narendra Modi, la Russie de Poutine, le Japon avec le nationaliste-révisionniste Shinzo Abe, les Philippines avec Rodrigo Duterte. Sans oublier l’UE dont le libéralisme extrémiste a généré, là comme ailleurs, des réactions politiques nationalistes peu démocratiques. Viktor Orban en Hongrie, Sebastian Kurz pronostiqué futur chancelier autrichien, Marian Kotleba -néonazi revendiqué- est entré au Parlement slovaque en mars 2016, Jaroslav Kaczinski du parti polonais « Droit et Justice », Andrej Babis en République tchèque et la France où la candidate du FN s’est retrouvée finaliste des élections présidentielles en 2022 et a fait entrer pour la première fois 89 députés à l’Assemblée nationale. À cette tendance générale ultra-droitière s’ajoutent la Russie, la Chine, plusieurs pays du Golfe et autres dictatures réprimant implacablement les droits civiques et la liberté d’expression. Ce sombre tableau ne serait pas complet si l’on omet de citer les fascismes religieux. Parmi eux, citons Daech-EI, Boko Haram, etc. qui sèment la terreur chez les musulmans et dans les capitales occidentales, sans oublier les religieux du Bloc de la foi ou du Likoud qui font les élections en Israël et imposent une ligne d’extrême-droite d’occupation et de colonisation bloquant toute solution pacifique. Le monde est aujourd’hui en alerte rouge.
Démonstration a été donnée par des personnalités et des experts de divers horizons que la mondialisation poussée à son paroxysme ultralibéral est génératrice de désastres écologiques, sociaux et de cataclysmes politiques. Facteur insuffisamment souligné, ce système offre des performances particulièrement médiocres à la société. Pour ne prendre que l’exemple du système de santé américain confié au secteur privé est le plus onéreux au monde avec près de 14 % du PIB induisant des résultats évalués trois fois moins efficaces au niveau des soins qu’en Europe ou ailleurs. Il est classé au 55ème rang sur 191 pays, soit bon dernier des pays avancés. Sous la pression des lobbies pharmaceutiques, les gouvernements libéraux travaillent à privatiser les systèmes de santé en France et Europe avec des conséquences désastreuses attendues.
Inutile de faire un mauvais procès aux médias publicitaires. La presse, la radio et la télévision ont pour vocation de promouvoir les produits et les services des groupes-annonceurs. Ces entreprises sont les premières bénéficiaires de l’ouverture mondiale des marchés. Ainsi, contre vents et marées, en dépit des crises et des krachs, les médias offriront une même vision marchande du monde et propageront leurs messages hyperconsuméristes. Une ligne éditoriale critique se verrait immédiatement sanctionnée par la perte d’annonceurs avec les effets que l’on imagine sur la survie du média et les emplois. Ainsi, lorsque vient le temps des présidentielles et quel que soit le pays, les personnalités politiques prônant un changement de cap écologique et social sont invariablement qualifiées de « gauche radicale », « d’irréalistes », «de fanatiques verts ». Aux États-Unis, le mot « socialiste » fut elayé par les médias commerciaux pour disqualifier le Green New Deal des démocrates. En revanche, les candidats du « laisser-faire le marché » promettant de relancer une croissance exigeant au moins trois planètes sont qualifiés « réalistes » et « volontaristes «. C’est dire l’hommage dû aux journalistes qui, dans un tel contexte, font leur métier avec une remarquable honnêteté intellectuelle. C’est dire aussi la nécessité pour la société civile de porter une parole de bon sens dans l’espace de liberté offert sur Internet aux trois milliards de personnes connectées.
LA SOCIÉTÉ CIVILE DOIT S’ORGANISER EN FORCE POLITIQUE GLOBALE AUTOUR D’UN PROGRAMME COMMUN D’INSPIRATION ÉCOLOGISTE ET PROGRESSISTE.
L’OMC est une création technocratique imposée aux peuples sans les débats publics voulus. En France, l’accord de Marrakech donnant le jour à l’OMC a été ratifié en catimini à la veille des vacances de Noël 1994 et en séance de nuit, sans relevé des votes dans une Assemblée nationale aux trois-quarts désertée. (Cf. le Journal Officiel rapportant la 2ème séance du 14 décembre 1994). Ce traité fut négocié durant les différents cycles du GATT dans le dos des peuples, à l’instar des traités transatlantiques et transpacifiques qui placent les règles du commerce international et les droits des investisseurs au-dessus des juridictions démocratiques et de l’intérêt général.
C’est le caractère contreproductif -pour ne pas dire suicidaire- des décisions prises par les gouvernants des pays-membres de l’OMC qui justifie aujourd’hui l’engagement de la société civile des nations consciente d’un destin et d’intérêts communs. Le Pacte Climatique Mondial offrira un schéma directeur et un corpus de réformes, de régulations, de normes et de législations internationales porteuses de paix, de dignité humaine, de progrès social et de préservation de l’environnement et du climat. Une fois alignés sur des règles internationales strictes, les géants multinationaux deviendront des moteurs actifs et innovants d’une reconversion bas-carbone du système mondial actuel.
Et si le monde ne sera jamais idéal, du moins sera-t-il réorienté dans la bonne direction. Le P.C.M. constituera à cet égard une précieuse aide à la politique pour opérer le changement de cap écologique et social que chacun(e) espère et attend. Un impératif pour la survie de l’humanité sur une planète habitable.